dimanche 26 février 2017

99- Le grand salon des produits frais

LE GRAND SALON DES PRODUITS FRAIS

Sous le nom de FRUIT LOGISTICA a lieu chaque année à Berlin en Février, un grand salon professionnel consacré aux fruits et légumes frais. Il en existe un certain nombre d'autres, répartis à travers le monde (Madrid, Hong Kong, Sao Paulo ou Dubaï, entre autres) et tout au long du calendrier.
Mais celui de Berlin est actuellement le plus important au monde.
Il faut dire que la date est particulièrement bien choisie, puisqu'elle se situe avant le début de la plupart des récoltes importantes de l'hémisphère nord, marquant en quelque sorte de coup d'envoi à la campagne agricole printemps-été de l'année en cours.
Pour l'édition 2017, son 25ème anniversaire, 84 pays étaient représentés parmi les plus de 3.100 exposants, et plus de 75.000 visiteurs professionnels en provenance de plus de 130 pays y ont développé des contacts.


C'est un salon de produits agricoles, spécialisé en fruits et légumes, et pourtant, vous n'y trouverez ni tracteurs, ni machines pour les champs, ni outils.
C'est un salon commercial, trois jours au cours desquels vont se négocier les principales transactions de fruits et légumes frais destinés aux consommateurs pour les mois suivants. Une grande partie de vos achats des mois de mars à octobre auront fait l'objet de négociations et d'accords commerciaux durant la Fruit Logistica.

C'est un salon dans lequel l'agriculteur n'a pratiquement pas sa place. Les acteurs y sont les vendeurs, et les acheteurs.
Nous avons d'un côté les supermarchés et les grossistes dans le rôle de l’acheteur, qui arpentent les couloirs, pour aller à leurs rendez-vous, ou pour dénicher une nouveauté, une exclusivité ou quelque chose que leurs concurrents n'auraient pas.
Nous avons de l'autre côté les coopératives, les groupements de producteurs, les expéditeurs, ou quelques gros producteurs individuels, qui présentent leurs produits, leur image, leurs méthodes de travail, leurs spécificité, quelque chose que leurs concurrents n'auraient pas, afin d'attirer l'acheteur potentiel.
On y trouvera aussi tout ce qui se fait de plus moderne en matière de tri et de calibrage, de froid pour la conservation, de technologies non chimiques de conservation, de chimie compatible avec les aliments, d'emballage, d'étiquetage, ainsi que d'informatique spécialisée et de transport frigorifique.


Autrement dit, on va y trouver tout ce qui va faire qu'un fruit ou un légume brut, fraichement récolté, soit transformé en un "objet de désir" pour les consommateurs.


Il y aura des conférences pour les professionnels, au cours desquelles seront présentés les dernières tendances des marchés, les préoccupations du public, les enquêtes de consommation. Elles seront aussi l'occasion de lancer de nouveaux protocoles de qualité, de nouvelles techniques de conservation, de nouveaux types d'emballages, de nouvelles stratégies commerciales.
On va y parler volumes, programmes, promotions, semaines, éventuellement prix (mais ça, c'est un critère qui se  négocie au jour le jour, pas plusieurs mois à l'avance). On y parlera aussi méthodes et techniques de production, résidus, certification, critères de qualité.
L'unité de vente y est souvent le camion, ou le container, ou plus exactement le camion par jour ou le camion par semaine. Des volumes gigantesques vont y être négociés.
Il faut dire que c'est le lancement de la principale période de consommation des principaux marchés de consommation de l'hémisphère nord, de loin le plus peuplé et le plus riche.


Les départements marketing de chacune des entreprises présentes aura fait des merveilles de design, de présentation, de couleurs, d'animation, de dégustation, de musique.
On y respire la gaieté artificielle, le jeu de qui trompe qui. Il faut avoir l'air joyeux, mais pas trop, riche, mais pas trop, sérieux, mais pas trop. Et surtout, il faut inspirer confiance et professionnalisme.
Il faut attirer le regard de nouveaux clients potentiels, sans paraitre en faire plus que la réalité.
L'ambiance y est très différente de celle des salons agricoles. On sent que le public à séduire n'est pas le même. C'est plus sophistiqué, certains ne lésinent pas sur les moyens.


Le côté de la production fera des promesses de volumes, de calendrier de production, de qualité, de résidus de pesticides, de respect de l'environnement, de respect des lois sociales, de traçabilité, d'hygiène, d'emballage, d'étiquetage.
On y va avec l’inquiétude de trouver des clients pour tous les volumes prévus, pour tous les niveaux de qualité qu’on risque de devoir vendre, avec la priorité de séduire et fidéliser le client, avec des engagements destinés à maintenir les prix au meilleur niveau possible.

L'acheteur exigera une traçabilité, des engagements de résidus de pesticides, un respect des lois sociales, un type d'emballage précis, un type de qualité, un étiquetage, une parfaite logistique.
Il y va avec la préoccupation de trouver les produits qui correspondent avec les objectifs fixés pour cette année, de trouver les fournisseurs capables de respecter à la fois ses cahiers des charges et ses besoins en volumes, et avec le besoin de trouver les garanties suffisantes de ne pas avoir de problème, ou en tout cas, en cas de problème, de pouvoir démontrer qu’il n’y est pour rien, et en rejeter la responsabilité sur le fournisseur. C’est une question de réputation pour la marque qu’il représente.
On y trouvera des accords qui permettront à chacun de préparer la récolte selon ses propres critères, mais de manière compatible avec les engagements pris.

On y parlera, discrètement, des conséquences du non-respect des accords, donc des sanctions et pénalisations, qui vont toujours de l’acheteur vers le vendeur. On y parlera aussi de commissions et de rétro-commissions. C’est avant tout du commerce, ne l’oublions pas.

On parlera à peu près le même langage, les uns iront avec des besoins et des exigences, les autres avec des prévisions et des promesses.


Puis chacun rentrera chez soi, content, ou pas, des engagements pris, et la campagne commencera, avec son lot prévisible d'impondérables, la difficulté habituelle à respecter les accords.

Du côté de la production, donc du côté du vendeur, on fera tout pour tenir les engagements pris. Les équipes commerciales mettront alors en branle tout le nécessaire pour que la production, souvent absente dans la négociation, puisse respecter les engagements pris.
On se rendra alors compte que certains de ces engagements sont intenables, ou nécessiteront des investissements imprévus, et pour lesquels il faudra montrer des trésors d'inventivité pour pouvoir les tenir.
Les inévitables imprévus (climatiques, de qualité, de volume, de logistique) obligeront à des renégociations, avec deux objectifs fondamentaux, maintenir les prix au meilleur niveau possible, et surtout sauvegarder sa réputation, ne pas se brouiller, car il faudra continuer à vendre, année après année. Mais les clauses de pénalisation entreront alors en action.

Du côté de la distribution, donc de l'acheteur, on rentrera satisfait d'avoir pu prendre les engagements destinés à respecter la programmation, tout en sachant qu'il sera à peu près impossible que la campagne se déroule comme prévu. Et au moment de vérité, on fera tout pour serrer les prix, en fonction du marché, afin d'assurer les marges prévues. Si la qualité n'est pas au rendez-vous avec les fournisseurs prévus, il faudra peut-être en chercher d'autres. Et si les prix ne permettent pas de dégager les marges prévues, il faudra négocier les achats à la baisse, mettre en route les pénalisations (ou trouver des prétextes qualitatifs), car le prix de vente au consommateur ne pourra pas varier beaucoup.


Après que les accords aient été passés dans la bonne humeur, il est probable que la campagne se déroulera avec un niveau élevé de tension que les accords en question auraient dû éviter.

Mais ce serait oublier que nous parlons d'aliments, produits par des êtres vivants, qui vivent et réagissent à de nombreuses stimulations, dont la qualité est variable en fonction du climat, et qu'il est impossible de prévoir, plusieurs mois à l'avance, comment se déroulera la campagne.
Au moment de passer ces accords, tout le monde oublie, plus ou moins volontairement, que nous ne parlons pas de produits manufacturés, mais d'aliments dont la qualité n'est jamais constante, car elle est exposées à de très nombreux facteurs sur lesquels le producteur n'a pas de prise.

Bref, on oublie toujours que nous parlons d'agriculture.
Mais la Nature se charge toujours de rappeler tout le monde à la réalité.


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